Evaluer la personnalité au cours du recrutement est-il un bon prédicteur de la performance au travail ?
La question de la prédiction de la performance dans le recrutement est un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. La psychologie s’est intéressée depuis les théories de l’intelligence de Spearman au début du XXème siècle, au lien entre un facteur cognitif hypothétique (à tout le moins, supposé à partir des analyses factorielles), appelé le facteur g et la performance à d’autres types de taches cognitives.
Ce facteur expliquerait la performance des sujets (jusqu’à 60% de part de variance expliquée par le facteur g) notamment sur des tâches de raisonnement logique, de raisonnement verbal, au test du QI et à la résolution de problèmes. Il a longtemps été considéré, encore maintenant, comme un bon prédicteur de la performance dans le travail. Il s’avère que la littérature scientifique sur ce fameux facteur g, dit « intelligence générale » est foisonnante et l’utilisation d’épreuves dites « saturées en facteur g » (type R85 de P.Rennes, le D48/D70/D2000 appelés tests des dominos…) reste, à ce jour, relativement classique au sein des cabinets de recrutement et de nos entreprises.
Performance au travail…?
L’évolution de nos organisations de travail et de nos entreprises durant ces 20 dernières années, l’explosion des souhaits d’entreprenariat chez les salariés français et les jeunes entrant dans la vie active depuis 25 ans (Article des Echo) et la multiplicité des projets naissants à travers la création de start-ups (document Business France) redéfinissent, la notion de performance au travail et donc la manière et les outils permettant de la prédire.
En effet, la performance au travail, a souvent été considérée selon des critères quantitatifs ou qualitatifs au regard d’une norme prescrite par l’organisation : le nombre de pièces réalisées, de clients satisfaits, d’appels décrochés, la quantité de rebus produite… L’entreprise prescrit une manière de réaliser le travail à laquelle le collaborateur et l’organisation doivent se conformer et elle définit également des critères objectifs sur lesquels la performance sera évaluée : on parle alors de performance à la tâche. Il existe plusieurs définitions de la performance au travail, mais on peut la définir comme « la valeur totale attendue par l’organisation des épisodes de comportements discrets qu’exerce un individu pendant une période de temps donnée » (Motowildo, 2003). La performance est donc, selon cette vision, un ensemble de comportements attendus et valorisés par l’organisation, qui influencent, en moyenne, positivement la réalisation d’objectifs fixés par l’entreprise.
Nombre de nos managers & RH ont été formés/formatés par cette idée rassurante et rationnelle. Ainsi, aujourd’hui, les grilles de nos entretiens annuels d’évaluation de la performance contiennent majoritairement une partie permettant de fixer des objectifs (SMART si possible) et explicitement, les critères (le M de SMART) qui permettront de mesurer l’atteinte ou non de ces objectifs.
OK, c’est cohérent et magnifiquement pensé mais… le monde change….
Néanmoins, les changements dans les organisations du travail et de nos entreprises, le fonctionnement en mode projet, l’agilité et les nouvelles capacités adaptatives demandées aux managers et aux collaborateurs pour pouvoir se montrer innovants, rapides et adaptables aux marchés et faire face à l’incertitude permanente, modifiant ainsi leur rapport au travail, n’amènent-t-elle pas la nécessité de repenser notre vision et notre définition de la performance et donc de nos outils et critères de recrutement ? Le facteur g reste-t-il un bon prédicteur de la performance au travail ? Les traits de personnalité pourraient-ils être de bons prédicteurs de la performance ?
La performance adaptative & le modèle des big fives
L’évolution du travail a amené de nombreux chercheurs à distinguer la notion de performance dans la réalisation de la tâche (évoquée précédemment) et la performance adaptative. On peut définir la performance adaptative comme la capacité d’un individu à s’adapter à des situations de travail dynamiques, changeantes (Hesketh & Neal, 1999). Au fur et à mesure que l’environnement de travail deviendra complexe, turbulent, instable, l’individu va devoir développer des capacités d’organisation, d’adaptation à des interlocuteurs variés, des capacités d’innovation pour faire face à des problèmes nouveaux mais également des capacités d’apprentissage devant l’évolution fulgurante des technologies.
On peut citer 5 compétences principales qui pourraient caractériser, la performance adaptative :
- Gérer des imprévus et des urgences
- Résoudre les problèmes nouveaux
- Gérer les situations stressantes
- Apprendre de nouvelles tâches / technologies / Procédures (développement de compétences)
- S’adapter à des relations interpersonnelles variées
Un profil de personnalité peut-il aider à prédire, dans les phases de recrutement, la performance adaptative ?
Le big five est à ce jour l’un des seuls modèles de la structure de la personnalité partagé par l’ensemble de la communauté scientifique (et malheureusement, à mon sens, pas des professionnels du recrutement, de nombreuses démarches et outils « ésotériques » ou obsolètes étant encore utilisés).
Selon ce modèle, selon lequel est construit le test Uwamai, 5 traits/facteurs permettent de définir la personnalité d’un individu :
- Le névrotisme (capacité à gérer ses émotions)
- L’ouverture
- L’extraversion
- L’agréabilité
- La conscience
Une étude publiée en 2013 par Audrey Charbonnier-Voirin, montre des résultats intéressants concernant le lien entre performance adaptative et la personnalité.
Sans rentrer dans les détails méthodologiques ni statistiques, cette étude montre un lien évident entre ces 5 dimensions de la personnalité et les dimensions de la performance adaptative.
Ainsi, nous vous présentons dans le tableau suivant les liens établis :
Les résultats de cette étude peuvent être riches d’enseignements pour les recruteurs mais également les gestionnaires de carrière et conseils en orientation professionnelle.
Traits de personnalité / Performance adaptative | Résolution de problèmes nouveaux | Gestion des imprévus et urgences | Gestion du stress | Adaptabilité interpersonnelle | Développement de compétences |
Névrosisme | * | ||||
Extraversion | * | ||||
Ouverture | * | * | * | * | |
Agréabilité | * | * | |||
Conscience | * | * | * |
Ouverture: la clef ?
On remarque, tout d’abord, que la dimension Ouverture qui mesure un certain goût pour la nouveauté, l’innovation, les activités artistiques et abstraites est corrélée positivement avec 4 dimensions de la performance adaptative. La créativité de ces individus, leur capacité à faire des liens entre des idées, des concepts, à sortir du cadre les rend particulièrement efficaces dans les situations de résolution de problèmes nouveaux, la gestion des imprévus et leur soif de découvrir les amène à développer aisément de nouvelles compétences.
Le lien entre ouverture et gestion du stress peut s’expliquer par la confiance que l’ouverture confère aux individus dans leur capacité à faire face à des situations inattendues.
Science sans conscience ?
Ensuite, la dimension conscience. Elle mesure la tendance pour un individu à se montrer ordonné, consciencieux, rigoureux et persévérant dans ses efforts. Il semblerait que cette persévérance les amène à se montrer performants dans l’acquisition de nouvelles compétences, connaissances. Leur rigueur et leur autodiscipline leur facilite la tâche pour faire face à des imprévus, des urgences et des problèmes nouveaux.
L’extraversion: ne vous y trompez pas !
Concernant l’extraversion, il pourrait être surprenant de ne pas trouver de lien avec l’adaptabilité interpersonnelle : les extravertis ne seraient-ils pas des « caméléons » virtuoses des relations sociales, capables de s’adapter à des interlocuteurs et auditoires variés ? (et c’est, par expérience, un biais dans certains recrutements : notre sens commun faisant un lien naturel entre ces deux dimensions).
Au fond, l’extraverti, par son énergie, son dynamisme se montrera plutôt performant dans les situations d’urgence par sa capacité à prendre des décisions et à entrer rapidement en action. Dans les relations aux autres, il ne se montrera performant que lorsqu’il s’agira d’établir un rapport de force, ou il sera amené à devoir influencer, prendre de l’ascendance sur ses interlocuteurs. En revanche, sur les tâches nécessitant de travailler en équipe, dans un esprit de coopération, il ne se montrera pas plus efficient.
Construire une équipe efficace…
Concernant les tâches nécessitant de l’adaptabilité interpersonnelle, il semble que seule le trait de personnalité de l’agréabilité soit un bon prédicteur de performance. C’est pourquoi, si vous devez recruter une équipe amenée à coopérer, à travailler avec des profils et interlocuteurs variés, il vaut mieux chercher des personnalités altruistes, faisant aisément confiance aux autres, privilégiant la coopération à la compétition.
Conclusion :
Les environnements et organisations de travail peu structurés, nécessitant une adaptation permanente et une réactivité forte aux imprévus mériteraient d’utiliser des épreuves de personnalité comme Uwamai, dans leur processus de recrutement. La personnalité semble un bon prédicteur de la performance adaptative et apporte un niveau de finesse permettant, en fonction de la nature du poste à pourvoir, de cibler un profil particulier.
Dans la pratique
A titre d’exemple, vous souhaiter recruter un ingénieur qui sera amené à collaborer et créer ou imaginer de nouveaux produits ? Soyez particulièrement vigilants à l’ouverture à l’agréabilité et à la conscience qui lui permettront de continuer à se former, coopérer efficacement et de se montrer créatif.
Egalement, l’ouverture, la conscience et l’extraversion seront des traits particulièrement pertinents pour des emplois nécessitant une réactivité importante face à des imprévus et des situations d’urgence.
Si vous recrutez un technico-commercial qui sera amené à devoir faire face à des situations de stress (pression quotidienne des résultats et du chiffre d’affaire développé): Le névrotisme (capacité à gérer ses émotions), l’ouverture et l’agréabilité semblent être des traits intéressants à déceler chez les candidats.
Ou encore un pilote d’avion ? vérifiez sa capacité à gérer ses émotions, à prendre des décisions réfléchies, à travailler en équipe : le névrotisme, l’agréabilité et la conscience seront les traits à analyser finement.
Enfin, il peut être également intéressant d’utiliser des épreuves de personnalité dans le cadre de démarche d’orientation ou d’accompagnement à la mobilité professionnelle…